Pandémie : le docteur Marquis répond à vos questions, 2e partie
8 décembre 2020
Pendant l’événement À Votre Santé!, le docteur François Marquis a répondu aux question de Patrice L’Écuyer sur la pandémie.
Invité de l’événement À Votre Santé!, le docteur François Marquis, chef du service des soins intensifs de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, a répondu aux questions de Patrice L’Écuyer et des participants sur la pandémie. À lire.
Patrice L’Écuyer : Les demandes de financement qui parviennent à la Fondation proviennent de tous les départements de l’HMR, pas seulement des soins intensifs?
François Marquis : Absolument. Le Fonds Tous solidaires de l’HMR a été créé pour répondre aux besoins de l’HMR. Il finance :
- L’acquisition d’équipements et de technologies de pointe;
- La formation du personnel soignant;
- Le renforcement des capacités de dépistage.
J’étais aux urgences récemment, et mon ami et collègue, le docteur Éric Gagnon, a besoin d’une nouvelle machine d’échographie rapide. Pourquoi? Parce que les autres ont été utilisées jusqu’à la corde. Cette machine permet de faire un diagnostic rapide dès l’arrivée du patient. Elle évite de le déplacer dans un autre service. Cela minimise les risques de contagion et fait gagner du temps.
L’équipe de cancérologie veut former des infirmières à un standard international. Elles doivent passer des examens de l’Association canadienne des infirmières en oncologie et cela coûte très cher.
Ce sont des demandes extrêmement concrètes qui se traduisent immédiatement par des bénéfices pour le patient. Ce sont des équipements dont nous avons un grand besoin.
P. L. : Vous venez de souligner l’importance de la formation. Avez-vous encore le temps de former du personnel?
F. M. : Nous n’avons pas le choix, car la vie continue. Il y a d’autres maladies que la COVID. On doit s’assurer que les équipes de l’HMR soient prêtes dans tous les cas de figure. On continue de former les médecins, les infirmières, les inhalothérapeutes, les préposés. On fait beaucoup de formations en équipe. Aujourd’hui, il y avait une équipe en formation au centre de simulation et une autre aux soins intensifs.
P. L. : Si on est malade, il ne faut pas hésiter à se rendre à l’hôpital. Il ne faut pas avoir peur.
F. M. : Tout à fait. C’est quelque chose que l’on a vu lors de la première vague. Les gens avaient tellement peur que, lorsqu’ils commençaient à avoir des symptômes, ils se disaient : « Je vais attendre. ».
Résultat, on a vu des personnes avec des maladies courantes qui se présentaient beaucoup trop tard. On fait de grandes campagnes de prévention des AVS, des infarctus, pour que les gens réagissent rapidement et là on voyait des gens qui, comme dans les années 80, avaient fait un infarctus deux jours plus tôt et étaient restés chez eux.
Et là, je voudrais passer un message d’espoir, la COVID est sous contrôle dans les hôpitaux. Si vous avez besoin de soins médicaux, n’attendez pas. J’ai entendu dire que des patients avaient annulé leur chirurgie. N’annulez pas.
P. L. : Pour ma curiosité personnelle, arrive-t-il que des patients demandent à être traités par vous ou un visage connu de la série De garde 24/7?
F. M. : Oui, ça arrive. Souvent, ce que les gens veulent, c’est un visage connu. Il y a beaucoup de médecins qui ont participé à la série De garde 24/7 et quand les personnes arrivent à l’urgence et qu’ils reconnaissent telle infirmière, tel médecin, tel inhalothérapeute, ou des préposés, ça les rassure. Ils se sentent en confiance. Cela a amené davantage de personnes à vouloir se faire soigner à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont.
P. L. : On ne le sait pas forcément, mais l’HMR ne soigne pas que les gens de l’est de Montréal?
F. M. :
Bien sûr, le bassin de population locale représente la majorité de nos patients, mais on attire des gens de partout au Québec, mais aussi au Canada. Pourquoi? Parce que l’Hôpital dispose d’une expertise rare dans certains domaines : On est un centre de pointe en hématologie. Pour certains cancers du sang, l’HMR est aussi l’un des deux centres au Canada qui proposent une thérapie à base de cellules CAR-T. Il est aussi un chef de file pour les greffes de moelle osseuse ou de cornées. En oncologie, on attire une population qui dépasse de loin, simplement Montréal. Ce qui est important, c’est de conserver cet équilibre : être présent pour notre population locale à tous les instants, mais en ouvrant les bras à tous ceux qui ont besoin de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, au Québec et au Canada.
Et dans un contexte de COVID, les personnes qui ont commencé un protocole de soins en janvier, en février, ou qui devaient subir une chirurgie, avec le confinement, on ne leur a pas dit : « On ferme, revenez dans six mois, ce n’est pas possible! ». Ces traitements suivent des balises, un protocole extrêmement précis, qu’on doit respecter. Ce fut un défi pendant la première vague et encore plus dans la deuxième vague, parce que tout ce qu’il était possible de déplacer, on l’a décalé. Aujourd’hui, nous devons vivre, composer avec ça. La COVID ne prend pas de temps mort. C’est ce qui explique que les besoins sont criants. On veut rester présent pour la population locale, mais aussi pour le reste du Canada.
Gwendoline Bonnet* : Qu’est-ce qui explique que l’on ait moins d’hospitalisations pendant la deuxième vague?
F. M. : Plusieurs choses. On connaît mieux la maladie. On sait qui garder à l’Hôpital, qui renvoyer à la maison.
La première vague a frappé de front les plus vulnérables, alors qu’aujourd’hui, on a des personnes touchées plus jeunes, en meilleure santé. Le paradoxe de cela, c’est que l’on a moins de patients aux soins intensifs, mais qu’ils sont plus fortement touchés. Le défi est moins dans le nombre de patients que dans la sévérité des cas.
Nathalie Dallaire* : Pensez-vous que le regard des gens à l’égard des professionnels de la santé a changé?
F. M. : Je pense effectivement que la COVID a permis à tout un chacun de prendre conscience de l’importance de disposer d’un réseau de la santé fort. Presque tout le monde a eu un proche, un collègue, un ami touché par la COVID et a pu voir comment le système fonctionne de l’intérieur.
Aussi, une série extraordinaire comme De garde 24/7 permet aux gens de voir, de comprendre la réalité des choses, du terrain. Les gens sont intelligents. Quand on leur donne l’information, quand ils peuvent voir ce qui se passe, ils révisent leur jugement. C’est lorsqu’on ne sait pas, que l’on ne voit pas, que l’on invente.
Charlotte Castilloux-Rancourt* : Y aura-t-il un avant et un après-COVID?
F. M. : Oui, certainement. En partant, tous ceux qui pensaient qu’il n’y aurait jamais de grande pandémie, ont été rappelés à la réalité. Ce qui veut dire que la conception des futurs hôpitaux et même leur gestion actuelle vont désormais davantage prendre en compte l’isolation ou la circulation des patients par exemple.
On va vivre avec la COVID. Tranquillement, les vagues vont devenir un bruit de fond, mais on va continuer d’avoir des patients COVID dans les prochaines années, comme l’on a encore des patients H1N1, la fameuse grippe porcine.
La COVID est une nouvelle maladie avec laquelle nous allons devoir composer pour toujours. Probablement pas dans les circonstances que nous connaissons aujourd’hui, mais il y aura un avant et un après cette pandémie, c’est sûr.
Éliane Tessier* : Comment êtes-vous devenu un interlocuteur privilégié des médias?
F. M. : Tout a commencé avec De garde 24/7. Quand la COVID est arrivée, les gens savaient que je travaillais aux soins intensifs, un département touché directement par la pandémie. On n’a donc commencé à m’appeler et j’ai tout de suite pensé que c’était une occasion en or de communiquer, d’informer la population. Je commençais à entendre n’importe quoi sur la COVID et me suis dit : « Si on me le demande, je vais être présent, répondre à un maximum de questions et être disponible. » J’ai commencé à le faire et cela a fait boule de neige.
P. L. : Comment va-t-on mettre fin à la pandémie?
F. M. : Ça va être un cocktail de plusieurs choses. On n’aura pas de solutions magiques.
- Population, population, population : Chaque geste compte. C’est un exercice de démocratie à grande échelle qui réussira à nous sortir de la COVID. On ne peut pas croire ou penser : ce que je fais n’a pas d’impact. Le fait des respecter les mesures de distanciation sociales est important et a un impact.
- Utilisation des ressources du système de santé à bon escient pour ne pas se laisser dépasser par la COVID.
- Un jour, on aura des traitements. Il y a des choses formidables qui se développent à l’HMR. Maisonneuve-Rosemont fait partie de l’équipe régionale, canadienne et mondiale des grandes études sur la COVID. Il y a des choses assez impressionnantes sur lesquelles on travaille, pas seulement des vaccins.
Le vaccin ou, probablement les vaccins, vont nous aider pour la prévention, mais il y aura toujours des gens malades, qui vont l’attraper et là, nous aurons besoin de traitements. Partout, il y a une mobilisation extraordinaire, autant à Maisonneuve-Rosemont, que dans le reste du monde. Il y aura un avant et un après-COVID, car cet esprit de mobilisation, je n’avais jamais vu ça de toute ma carrière.
Catherine Guy* : Comment gérez-vous vos émotions au contact des patients?
F. M. : Il faut gérer ses émotions. Si elles débordent, nous emportent, on n’est plus très utile. Avec l’entraînement, on devient extraordinairement calme. On absorbe l’information, on l’analyse et on organise le travail de l’équipe. C’est un peu un travail de chef d’orchestre. Je ne dis pas que l’émotion ne peut pas nous rattraper, mais pendant que nous sommes avec le patient, c’est rare. On est dans notre « zone », mais parfois cela nous rattrape plus tard, cela peut prendre du temps. Nous ne sommes pas des machines.
Michel Bento* : Comment faites-vous pour trouver un équilibre sur le plan personnel?
F. M. : C’est une excellente question. Ce n’est pas facile. Il est important d’être entouré. J’ai la chance d’en avoir beaucoup, en commençant par mon épouse. Il faut aussi se garder des moments précieux pour soi. On n’en a peu. Moi, je suis un patenteux. J’ai ma shed, avec mes outils, etc. et je fabrique des prototypes, je programme des ordinateurs. Et ça, ce sont mes moments à moi. Il n’y en a pas des tonnes, mais quand je suis dans ma shed, il n’y a pas grand-chose qui peut me déranger. Ces moments-là me permettent de faire le vide, pour ensuite revenir à mon quotidien.
Jean-Philippe Beauvais* : Quand on aura un vaccin, qui sera prioritaire?
F. M. : Premièrement. Il y a plusieurs stratégies. Admettons que la population soit sur une île déserte et que le seul lien soit un bateau. Si, j’ai peu de vaccins, je vaccine le capitaine et l’équipage, parce que le virus ne peut passer que par eux.
Quand on va recevoir les vaccins, il y en aura probablement plusieurs, on va commencer par protéger les plus fragiles, puis ceux qui sont susceptibles de l’attraper ou pourraient le transmettre facilement : on pense aux personnes du système de santé, les gens qui font des soins à domicile, par exemple. Il y aura un équilibre à trouver.
Patrice L’Écuyer : Quand la population du Québec sera-t-elle vaccinée?
F. M. : Ce que l’on veut, c’est vacciner 70 à 80 % de la population. L’organisation de la vaccination, distribuer et administrer le vaccin, ne m’inquiète pas. Ce qui peut être difficile, c’est d’obtenir le nombre de doses dont on aura besoin.
P. L. : Une fois le vaccin obtenu, serons-nous contagieux quand même?
F. M. : Cela dépend. Il y aura plusieurs types de vaccins. Ils auront tous leurs avantages et leurs inconvénients. Et les études de phase 3 dont on parle actuellement portent là-dessus. Après, il y aura des études de phase 4 qui vont regarder, sur des millions de personnes, l’efficacité du vaccin sur le terrain et essayer de répondre aux questions que l’on se pose : a-t-on besoin d’une, deux ou trois doses? S’il faut une deuxième dose, on la fait quand? A-t-on besoin d’un rappel? Si oui, quand? Etc.
Mais la priorité, c’est de casser la pandémie en vaccinant un maximum de personnes. Ensuite, on aura le temps de répondre aux questions que l’on se posera encore.
P. L. : Il y aura donc différents vaccins pour différents types de personnes? Un vaccin qui serait bon pour moi ne serait peut-être pas bon pour ma fille?
F. M. : Je ne dirais pas bon ou pas bon, mais plutôt optimal. Les vaccins seront tous efficaces, mais il faudra déterminer quel est le vaccin optimal, celui qui convient le mieux, à chaque personne.
La chance que l’on a, c’est que l’on va avoir plusieurs types de vaccins, car on n’est pas dans une course avec un seul gagnant. Il y a de la place pour plusieurs vaccins. Cela va nous aider à avoir suffisamment de doses, car ils ne sont pas tous fabriqués selon la même technologie.
P. L. : Une fois vacciné, cela va simplifier le travail des équipes soignantes?
F. M. : Au niveau quotidien, oui. Cela va nous permettre de simplifier nos équipements de protection. Ça va faire une différence extraordinaire.
Si vous aussi vous souhaitez poser une question au docteur Marquis, envoyez-la-nous au : info@fondationhmr.ca.
* Participants à l’événement À Votre Santé!.